CHAPITRE VI
— Vous savez, bien entendu, que si vous poursuivez plus avant, je ne pourrai vous accompagner, rappela gravement Hugh alors qu’ils revenaient ensemble de complies à la nuit tombante. Si je laisse quelques jours de plus Madog ap Meredudd sans surveillance, ses regards avides vont de nouveau se porter vers Oswestry qu’il n’a jamais cessé de convoiter. Dieu m’est témoin, c’est bien à contrecœur que je repars sans vous. Et vous-même savez mieux que personne que vous allez déraciner votre existence de vos propres mains si vous ne rentrez pas en temps voulu.
— Et si j’échoue à retrouver mon fils, répondit Cadfael avec douceur et bon sens, ma vie n’aura plus aucune valeur. Non, Hugh, ne vous tracassez pas pour moi. Dans ce genre de recherche, un homme seul peut être aussi efficace qu’une compagnie de gens d’armes. Si ce n’est plus. Je n’ai pas réussi à trouver ici la moindre piste et il ne me reste plus qu’à me rendre sur les lieux où il a combattu, fut trahi et fait prisonnier. Là-bas, quelqu’un doit savoir ce qu’il est advenu de lui. A Faringdon, des rumeurs doivent courir, il doit y rester des empreintes, des filons à exploiter. Je les trouverai.
Il exécuta soigneusement ses dessins sur une feuille de parchemin empruntée au scriptorium, l’un grandeur nature et le second agrandi afin qu’apparaissent les moindres détails du sceau à la salamandre. L’objet ne portait ni devise, ni légende, rien que le mince lézard dans son nid ardent. Il renvoyait sûrement aussi d’une manière ou d’une autre à la reddition de Faringdon et avait son mot à dire à propos de la mort de Brien de Soulis, à condition que l’on parvienne à interpréter son langage.
Hugh cherchait, sans grand espoir, comment contribuer à élucider les énigmes qui entraînaient son ami vers un exil qu’il ne désirait pas. Le shérif se sentait terriblement désarmé ; faute de mieux, il hasarda une idée :
— Avez-vous pensé, Cadfael, que de tous les gens qui haïssaient Soulis, l’impératrice est de loin celle qui avait les meilleures raisons de le faire ? Pourquoi n’aurait-elle pas soufflé à l’oreille de quelque damoiseau entiché d’elle l’idée de l’éliminer ? Elle dispose d’une brochette d’admirateurs inexpérimentés. Cela n’aurait rien d’impossible.
— C’est aussi ma plus sûre hypothèse, confirma sobrement Cadfael. Vous rappelez-vous qu’elle a convoqué Yves le premier soir, après qu’il eut fait, face à Soulis, une démonstration de sa fougue ? Je suppose que cette conduite a paru de bon augure à Mathilde, et elle lui a trouvé un travail à sa convenance qu’il pourrait accomplir, plus discrètement sans doute que lors de son premier essai.
— Non ! jeta Hugh qui se figea sur place, estomaqué. Vous voudriez me faire croire que…
— Absolument pas ! protesta Cadfael grondeur. Oh, Yves a compris ses intentions, du moins je le crains, tout en se maudissant d’avoir soupçonné ce qu’elle voulait dire. Bien sûr que non, il ne l’a pas fait ! Il se peut même qu’elle ait eu l’intelligence de s’en abstenir, avec un tel innocent. Mais il n’est pas stupide ! Il l’a parfaitement comprise.
— Alors, elle aurait pu choisir un exécuteur de second choix pour faire le travail, suggéra Hugh, l’œil brillant.
— Non, Hugh, oubliez cette hypothèse. Mathilde est persuadée qu’Yves a reçu le message et l’a débarrassée de son ennemi. Non, ce n’est pas de ce côté qu’on trouvera la solution.
— Et pourquoi donc ? repartit Hugh, piqué. Comment pouvez-vous en être si sûr ?
— Parce qu’elle l’a récompensé en lui donnant un anneau d’or. Rien de précieux, un simple gage de reconnaissance. Il voulait le refuser mais son courage n’est pas allé jusque-là. Comment lui en vouloir ? Bien entendu, rien n’a été clairement exprimé ; il nierait la chose et elle-même évitera de le mettre en situation d’avoir à le faire. Le garçon perd pied devant une femme pareille. Il veut se débarrasser de son cadeau dès qu’il pourra le faire en toute impunité. La gratitude de Mathilde est de courte durée, il le sait. Mais non, jamais elle n’a loué les services d’un autre meurtrier tant elle était certaine de ne pas en avoir besoin.
— Cela n’a pas dû faire plaisir à Yves, commenta Hugh avec amertume, et ne va pas nous aider à le soulager du poids qui l’écrase.
Ils étaient arrivés à la porte de leur logis. Des légions d’étoiles infinitésimales clignotaient dans le ciel limpide et froid. C’était leur dernière nuit à Coventry ; les obligations qui rappelaient Hugh dans son comté ne pouvaient être ajournées.
— Cadfael, réfléchissez encore à ce que vous allez faire. Je sais parfaitement que vous jouez votre va-tout. Il ne s’agit pas d’un simple aller et retour. Dans l’affaire où vous voulez vous immiscer, un homme peut disparaître à tout jamais. Revenez avec moi et je demanderai à Robert le Bossu de poursuivre l’enquête jusqu’à sa conclusion.
— Nous n’avons pas le temps, dit Cadfael. L’idée qui me tourmente, Hugh, la voici : en plus de celle de mon fils, il y a plusieurs âmes et plusieurs vies à sauver dans cette affaire. Le temps presse, le danger se rapproche. Et si je fais demi-tour à présent, il n’y aura personne, ange ou démon, pour enregistrer les aléas de leurs destins. Mais je vous le promets, je vais y réfléchir encore avant que vous ne me quittiez. Nous verrons ce que le matin nous apportera.
Le lendemain, devant la communauté qui sortait de l’église après la messe, un cavalier couvert de poussière surgit avec le petit matin. Venu de la route au petit galop, son cheval écumant dérapa en prenant le virage puis freina bruyamment des quatre fers. Tête basse, les flancs haletants, il fumait dans l’air glacé et, de ses lèvres retroussées, la bave coulait jusqu’aux galets. Les poings crispés sur le pommeau, le cavalier déséquilibré se laissa choir plutôt qu’il ne sauta de sa selle ; raidissant ses genoux défaillants, il parvint tant bien que mal à se redresser en s’agrippant à sa monture.
— Monseigneur, pardon…
Il ne pouvait lâcher prise pour accomplir les salutations d’usage mais, s’appuyant contre le flanc, il inclina la tête aussi profondément et respectueusement qu’il le pouvait.
— Ma maîtresse, l’impératrice, m’a chargé de vous faire part de son arrivée à Gloucester avec toute sa compagnie, à l’exception d’un homme. Monseigneur, nous avons rencontré du vilain sur la route…
— Reprenez votre souffle, les mauvaises nouvelles peuvent attendre, dit Roger de Clinton avant de lancer ses ordres aux premiers volontaires venus : Apportez tout de suite à boire, du vin chaud épicé, et que l’un de vous l’aide à entrer. Occupez-vous aussi de cette pauvre bête avant qu’elle ne s’écroule.
Une main se saisit aussitôt de la bride pendante. Quelqu’un se précipita pour chercher le vin. L’évêque offrit son épaule qu’il glissa sous le bras droit du courrier pour le soutenir :
— Venez, entrons. Vous allez vous reposer.
Avec soulagement, le courrier s’adossa au mur d’une niche du cloître pour reprendre son souffle. Hugh, qui n’avait pas oublié ses pénibles chevauchées au-delà de Lincoln, se mit à genoux et tendit des mains expertes pour le libérer de ses lourdes bottes d’équitation.
— Monseigneur, nous avions changé de chevaux à Evesham et mené bon train jusqu’aux environs de Gloucester ; le crépuscule était déjà tombé, nous aurions dû arriver à la nuit. J’étais avec l’arrière-garde. Près de Deerhurst, dans les bois, la presque totalité de la colonne était déjà passée quand une bande armée s’est jetée sur nos arrières, isolant un de nos hommes avant même que nous nous en soyons rendu compte. Ils l’ont emporté dans la nuit à toute allure.
— De quel homme s’agit-il ? demanda Cadfael d’un ton impérieux. Dites-nous son nom.
— Un des écuyers de l’impératrice, Yves Hugonin. Celui qui a injurié Soulis, lequel est mort. Monseigneur, il est sûr et certain que ce sont des hommes de FitzRobert qui se sont emparés de lui ; ils le soupçonnent d’avoir tué Soulis et le tiennent pour coupable à cause des précautions que l’impératrice a prises pour qu’il reparte sain et sauf.
— Et vous ne les avez pas poursuivis ? questionna l’évêque, l’œil courroucé.
— Si, Monseigneur, sur une courte distance seulement : ils avaient des montures fraîches et connaissaient bien la forêt. Nous les avons rapidement perdus de vue. Nous avons dépêché un homme en tête pour avertir l’impératrice. Elle a ordonné que l’un de nous rebrousse chemin pour vous en informer. Nous avions des sauf-conduits. Après une telle réunion, c’était une vilaine besogne.
— Nous allons avertir le roi, dit l’évêque d’une voix ferme. Il ordonnera que cet homme soit relâché, ainsi qu’il l’avait fait lorsque FitzRobert s’était emparé du comte de Cornouailles. Quel que soit son ressentiment, FitzRobert, qui s’était soumis, obéira cette fois encore.
Cadfael n’en était pas aussi sûr. Étienne lèverait-il le petit doigt en l’occurrence pour Hugonin ? Il ne s’était pas prononcé quant à sa culpabilité et seule l’insistance de l’impératrice l’avait décidé à autoriser le départ du jeune homme sous un sauf-conduit. Par ailleurs, ce garçon qui n’avait encore jamais combattu n’était pas un allié précieux. Décidément non, c’était à l’impératrice qu’incombait le soin de le retrouver. Il était venu à Coventry sous son aile ; à elle de le protéger. Et jusqu’où irait-elle pour assurer la sécurité d’Yves ? Elle s’arrêterait avant d’avoir l’impression de perdre son temps ou quelque avantage. L’infâme service qu’il était supposé lui avoir rendu ayant été reconnu et récompensé, elle ne lui devait rien. Et Yves s’était délibérément placé en retrait dans les derniers rangs du cortège pour échapper à sa vue et à sa pensée.
— Je crois qu’un de leurs cavaliers s’est déplacé parallèlement à nous pendant quelque temps sous le couvert pour bien identifier l’homme avant de passer à l’attaque, précisa le messager. Tout s’est déroulé en un instant dans un tournant où les arbres empiètent sur le sentier.
— Et près de Deerhurst. Est-ce déjà dans les domaines de FitzRobert ? s’enquit Cadfael. A quelle distance se trouvent ses châteaux forts ? Il est parti d’ici très tôt ce matin, il avait tout le temps de mettre au point une embuscade. Dès le début, il avait ce plan en tête, au cas où son projet serait contrarié ici.
— Ses forteresses sont à quelque vingt miles de Cricklade, davantage de Faringdon. Mais la nouvelle, celle de Greenhamsted qu’il a raflée à Robert Musard, est plus près, à moins de dix miles de Gloucester.
— Êtes-vous sûr, demanda Hugh en hésitant et avec un regard inquiet vers Cadfael, qu’ils l’ont enlevé pour le faire prisonnier ?
— Indiscutablement, repartit sans façon le messager, écœuré. Ils le voulaient vivant et ils ont adroitement manœuvré. Non, ils sont plus attentifs au sang qu’ils répandent, ces temps-ci. Dans les deux camps, les hommes ont des parents de l’autre côté qui pourraient s’offenser et provoquer des turbulences. Non, n’ayez crainte, cette fois-ci, il n’y a pas eu de mort.
Le courrier se rendit dans la demeure du prieur pour se restaurer et se reposer, et l’évêque dans son palais pour rédiger les lettres destinées à répandre la nouvelle dans la région où l’enlèvement avait eu lieu, notamment à Oxford et à Malmesbury. Il était peu probable qu’Étienne se démène et intervienne personnellement dans cette affaire mais il y aurait sûrement quelqu’un pour transmettre la nouvelle à Devizes, à l’oncle du garçon qui avait quelque influence sur l’impératrice. De toute façon, il fallait essayer.
— A présent, conclut Cadfael, demeuré seul face au visage morne et frustré d’un Hugh anormalement silencieux, j’ai deux otages à récupérer. Si j’avais encore besoin d’un signe, le voilà. Il ne me reste plus l’ombre d’un doute sur ce que je dois faire.
— Et je ne peux vous accompagner, soupira le shérif.
— Vous avez la responsabilité d’un comté. Il suffit que l’un de nous deux manque à sa parole. Hugh, puis-je garder votre bon cheval ?
— Si vous jurez de me le ramener en bon état, et vous-même sur la selle.
Ils firent leurs adieux devant le portail du prieuré : suivi de ses trois gens d’armes, Hugh repartait vers le nord-ouest par les routes qu’ils avaient empruntées à l’aller ; Cadfael prit la direction du sud. Ils s’étreignirent brièvement avant d’enfourcher leur monture mais, dès qu’ils eurent franchi le portail et se retrouvèrent dans la rue, ils piquèrent des deux sans se retourner. Le lien qui les avait rassemblés tout au long de leur périple allait s’étirer, s’amincir, approcher le point de rupture ; devenu fragile comme une fibre, un cheveu, un fil de la Vierge, il ne romprait pas.
Pendant les premières étapes de ce voyage, Cadfael progressa régulièrement, à peine conscient de ce qui l’entourait, totalement absorbé par l’effort de s’accommoder de la rupture d’un autre lien qui s’était accomplie sitôt qu’il avait pris la direction du sud au lieu de retourner vers son monastère. On aurait dit qu’une contrainte à laquelle il s’était astreint, au prix d’une certaine souffrance, pour préserver sa vie d’un danger venait de sauter ; cette suppression brutale entraînait, avec une égale intensité, crainte et soulagement. L’agrément d’être lâché dans le monde se fit jour le premier tandis que l’horreur de la délivrance le pénétra graduellement avant de le submerger. Car il était renégat, il s’était volontairement et sciemment exilé. A présent, sa seule justification devait être la délivrance d’Yves et d’Olivier. S’il échouait, même son apostasie aurait été vaine. « Vous serez votre propre maître », avait dit Radulphe, « vous ne serez plus un des miens. » Vœux reniés, frères oubliés, ciel au rebut.
Premier impératif : reconnaître ce qui était arrivé ; second impératif : l’accepter. Une fois réglée cette question, frère Cadfael pourrait chevaucher calmement et redevenir son propre maître. Il l’avait été durant la première moitié de sa vie, sans ressentir souvent d’autres besoins, jusqu’à ce qu’il découvre la vie communautaire et l’accomplissement dans le renoncement à lui-même. Sa vie pouvait et devait être vécue selon ces mêmes principes le temps que durerait son éloignement, peut-être tout le temps qui lui restait à vivre.
Cela fait, il pourrait à nouveau regarder autour de lui, s’inquiéter de sa route et tourner sa pensée vers la tâche qui l’attendait.
Ils les avaient cernés près de Deerhurst et avaient séparé Yves de ses camarades. A strictement parler, il n’existait pas de preuve quant à l’identité de qui l’avait enlevé ; mais Philippe FitzRobert était le seul homme dont on était certain qu’il éprouvait une rancune sévère contre le garçon, qu’il était de notoriété publique porté à la vengeance, qu’il possédait trois châteaux forts et une excellente troupe dans les parages et qu’il pouvait oser en toute impunité un pareil coup de main, sûr de son pouvoir. Si bien que les exécutants n’auraient pas pris le risque de s’attarder même de nuit avec leur captif plus longtemps qu’il n’était nécessaire ; ils l’avaient enfermé dans l’un des châteaux, aussi vite et aussi discrètement que possible, loin des yeux et loin des pensées. Greenhamsted était le plus proche, avait dit le courrier de l’impératrice. Cadfael, qui connaissait mal la région, l’avait interrogé sur la topographie des lieux. Deerhurst s’élevait à quelques miles au nord de Gloucester, Greenhamsted à peu près aussi loin vers le sud-est. Le courrier avait appelé ce château La Musarderie, d’après le patronyme de la famille qui en était propriétaire depuis l’établissement du Grand Livre cadastral. A Deerhurst se trouvait un prieuré étranger qui appartenait à Saint-Denis, à Paris, et s’il y logeait cette nuit, il serait en mesure d’obtenir quelques informations sur les environs. Les gens de la campagne surveillent d’un regard aiguisé les activités tortueuses de leurs seigneurs, tout particulièrement en temps de guerre civile. Une nécessité pour leur propre sauvegarde.
Au dire de tous, il y avait toujours eu une forteresse à La Musarderie depuis que le roi Guillaume avait donné le village à Hascoit Musard peu avant le relevé du Grand Livre cadastral. Ce qui supposait assez de temps pour qu’il ait été rebâti en pierre après la première érection hâtive d’un mur de bois destiné à s’assurer une prise. Faringdon avait été édifié rapidement – quelques semaines estivales y avaient suffi – et assiégé avant d’être entièrement terminé. Fortifications en terre et en bois, il n’y avait pas d’autre possibilité en un délai si court mais, évidemment, on avait pris grand soin de construire aussi solidement que possible. Et Cricklade, quel qu’ait pu être l’état de ses défenses, était moins près que Greenhamsted de l’endroit où Yves avait été enlevé. Bien, il irait voir à Deerhurst si quelqu’un pourrait lui fournir quelque lumière dans ce domaine.
Il s’enleva vigoureusement car il avait l’intention de couvrir une bonne distance en chevauchant jusqu’à la tombée du jour. Il ne mangea rien et récita sur sa selle les offices de tierce et de sexte. Il rencontra sur sa route un commerçant à cheval et son porte-balle ; ils firent route côte à côte pendant quelques miles au long desquels un flot de bavardage pénétra dans l’oreille gauche de Cadfael pour en sortir par la droite, ponctué de ses murmures amicaux émis un peu au hasard : les champs d’action inconnus qui attendaient Cadfael dans la vallée de la Tamise où le front de bataille était tracé monopolisaient son esprit. Aux abords de Stratford, le commerçant et son commis bifurquèrent pour se rendre en ville, et Cadfael poursuivit son chemin, seul à nouveau, non sans échanger de temps à autre des saluts distraits avec d’autres voyageurs sur une grand-route très passante et assez sûre.
Il parvint à Evesham à la tombée du jour et soudain, transi comme si une chape glacée lui était tombée sur les épaules, il prit conscience qu’il avait tenu pour acquis l’accueil habituellement réservé à un frère de l’Ordre, lui qui n’avait désormais plus droit à aucun privilège car il avait délibérément rompu son vœu d’obéissance, en toute connaissance de cause. Renégat, exilé volontaire, il n’avait même pas droit, sauf par charité, à l’habit qu’il portait pour couvrir sa nudité.
Il sollicita pour lui une paillasse dans la salle commune, sous prétexte qu’il accomplissait un voyage pénitentiel, et dit qu’il ne méritait pas de se mêler aux moines du chœur avant qu’il fût pleinement accompli, ce qui était aussi proche de la vérité qu’il souhaitait s’en approcher. Grave et courtois, le frère hospitalier ne chercha pas à en savoir plus que Cadfael ne voulait confier ; il le laissa faire à son idée, offrit un confesseur en cas de besoin et lui conseilla de conduire son cheval aux écuries et de le panser avant d’aller se reposer. Lors des vêpres et des complies, Cadfael s’agenouilla dans un coin obscur de la nef qui jouissait d’un bon point de vue sur le maître-autel. Si ce n’était par son jugement personnel, il n’était pas excommunié. Pas encore.
Mais tout au long de l’office, il fut intérieurement aux prises avec un paradoxe invraisemblable : au tréfonds de lui-même, un vide qui pesait plus lourd qu’une pierre.
L’après-midi suivant, il parcourut les terrains boisés qui flanquent le vallon de Gloucester. Tous ces comtés du centre de l’Angleterre, richement arborés et giboyeux, lui donnaient l’impression d’un immense et somptueux terrain de chasse à courre. Et dans l’une de ces percées, Philippe FitzRobert avait couru l’homme. Nouveau deuil désespérant pour la charmante jeune femme enceinte, à présent seule à Gloucester.
Laissant Tewkesbury sur sa droite, il emprunta la voie directe pour Gloucester, ce qu’avaient dû faire l’impératrice et son escorte. Bonnes et larges, les pistes forestières se rétrécissaient seulement de temps à autre sur de courtes distances, en fonction du niveau du sol. « Dans un tournant où les arbres empiètent sur le sentier », avait dit le messager. En approchant de la fin du voyage, l’impératrice avait dû forcer l’allure pour arriver avant la nuit et ils avaient changé de monture à Evesham. L’arrière-garde avait dû se laisser un peu distancer, ce qui avait facilité la manœuvre d’encerclement et l’isolement d’un cavalier. Quelque part par là et deux nuits plus tôt : les empreintes laissées par plusieurs cavaliers pressés avaient dû disparaître.
Sur le flanc méridional du layon, les frondaisons s’éclaircissaient et la lumière pénétrait jusqu’au sol où les herbes et les plantes sauvages proliféraient. Quelqu’un avait choisi ce lieu favorable pour s’y tailler un essart. Entourée d’une clôture basse en bois, la cabane s’élevait à quelques mètres au milieu des arbres ; l’étable était derrière. Cadfael entendit une vache meugler de satisfaction et observa que de gros troncs avaient été abattus pour ménager un modeste taillis. Le maître de céans bêchait son enclos. Il se redressa vivement pour inspecter les environs en entendant le bruit assourdi des sabots le long du lai. Lorsqu’il repéra le frère bénédictin, ses épaules contractées se détendirent visiblement et son poing crispé sur la bêche se desserra. Le cavalier était encore à une douzaine de pas quand il l’interpella :
— Bien le bonjour, frère !
— Dieu bénisse votre ouvrage ! répondit Cadfael qui ralentit son cheval et le guida entre les arbres pour se rapprocher.
L’homme posa sa bêche et se frotta les mains, tout prêt à interrompre ses travaux pour échanger quelques mots avec un inoffensif passant. C’était un solide gaillard, au visage brun, ridé comme une châtaigne, et aux yeux bleus et perçants, bien établi sur son domaine forestier. Apparemment, il vivait seul car nul indice et nul bruit ne révélaient la présence d’un autre humain dans le jardin ou la cabane.
— C’est un vrai ermitage que vous habitez là, dit Cadfael. Ne vous sentez-vous pas un peu seul parfois ?
— Oh, j’ai un faible pour la tranquillité. Et lorsque j’en suis fatigué, j’ai un fils marié, établi à Hardwicke, à moins d’un mile par là-bas. Les enfants viennent me voir les jours de fête. Je me réserve du temps pour profiter de leur compagnie mais j’aime la vie des bois. Où vous rendez-vous, frère ? Le crépuscule ne va pas tarder.
— Je demanderai à passer la nuit à Deerhurst, dit Cadfael d’un ton placide. Ainsi, l’ami, vous-même n’avez jamais d’ennuis avec les créatures sauvages qui aiment vivre dans les bois pour des raisons moins avouables que les vôtres ?
— Je vis de mes mains, répondit le bûcheron avec sérénité, et les hors-la-loi n’ont que faire des maigres proies de mon espèce. De plus riches butins passent par cette route. Encore que ce genre d’attaque soit plutôt rare par chez nous. Ici, le couvert est bon mais étroit. Il y a de meilleurs terrains de chasse.
— Tout dépend du gibier, fit observer Cadfael en l’étudiant avec attention. Voici deux nuits, beaucoup de cavaliers sont passés par ici, je crois, faisant route vers Gloucester. A peu près à cette heure, peut-être un peu plus tard dans la nuit. Les avez-vous entendus ?
L’homme s’était raidi et considérait Cadfael les yeux plissés, presque méfiant.
— Je les ai vus passer, dit-il d’un ton uni. Un homme avisé ne peut négliger pareil remue-ménage. J’ignorais alors qui c’était mais aujourd’hui, je le sais. L’impératrice, celle qui est tout ce qu’on voudra sauf une reine, revenait avec son escorte de la conférence de l’évêque à Coventry, directement vers Gloucester.
Les gens comme moi n’ont rien à gagner à frôler ses jupes, pas plus d’ailleurs que les manches du roi Étienne. On les regarde passer, et merci mon Dieu quand ils sont hors de vue.
— Sont-ils passés tranquillement ? N’ont-ils pas été victimes d’une embuscade ? S’est-on battu ? La nuit a-t-elle été troublée ? questionna Cadfael tout d’une traite.
— Frère, dit l’homme lentement, en quoi cela vous intéresse-t-il ? Quand des hommes en armes passent par ici, je reste chez moi et laisse tranquilles ceux qui me laissent tranquille. Oui, il y a eu du tapage, pas ici, un peu en arrière du sentier, je n’ai rien vu, juste entendu. Des clameurs d’abord et subitement un grand fracas entre les arbres… quelques minutes et puis plus rien. Ensuite, un homme a rattrapé l’escorte au grand galop en criant des nouvelles et, plus tard, un autre est reparti dans l’autre sens, à toute allure. Frère, si vous en savez plus que moi qui ai tout entendu, pourquoi m’interroger ?
— Et le lendemain, poursuivit Cadfael, vous êtes allé examiner au grand jour les lieux de l’attaque. Combien d’hommes à votre avis ? Quelle direction ont-ils prise ensuite ?
— Ils ont attendu tapis dans les bois, répondit l’homme patiemment, la plupart au sud du sentier, quelques-uns au nord. Leurs chevaux ont piétiné l’herbe du sous-bois. Une douzaine en tout, je dirais, pas moins. Une fois leur besogne terminée, ils se sont regroupés et se sont élancés vers le sud. Il y a un layon par là. Ils ont ravagé le taillis sur leur passage.
— Droit vers le sud ? insista Cadfael.
— Et du vite fait ! Des hommes qui connaissaient assez les lieux pour foncer dans la nuit noire. A présent que je vous ai révélé ce que j’ai vu et entendu – et n’était votre froc, je serais resté bouche cousue –, allez-vous me dire ce que vous avez à faire avec ces équipées nocturnes ?
A présent, Cadfael pouvait satisfaire la curiosité de son vis-à-vis, d’ordre pratique et aussi urgente que la sienne.
— Pour autant que j’aie bien compris, ceux qui s’en sont pris à l’arrière-garde de l’impératrice avant de fuir vers le sud se sont emparés d’un jeune homme que je connais très bien et le gardent captif. Il n’a rien fait de mal, rien qui justifie la haine que lui porte Philippe FitzRobert. Ma mission consiste à découvrir où ils le détiennent et à le libérer.
— Le fils de Gloucester, hein ? C’est lui qui fait la loi par ici et il a partout des repaires. Frère, je vous le dis, fit l’homme brusquement consterné, mieux vaut aller narguer le diable en son enfer que rendre visite à Philippe FitzRobert à La Musarderie.
— La Musarderie, dites-vous ? Est-ce là qu’il réside ?
— C’est ce qu’on dit. Il a déjà un ou deux otages et, s’il en a un de plus depuis cette dernière échauffourée, vous avez autant de chances de l’en tirer que de vous élever dans les cieux tout vivant comme vous êtes. Pensez-y deux fois plutôt qu’une avant de vous lancer.
— J’y penserai, mon ami. Et vous, gardez-vous des hommes armés et priez parfois pour les captifs. Vous aurez fait votre devoir.
Sous le couvert des arbres, la lumière tombait sensiblement. Il était grand temps de reprendre la route de Deerhurst. Cadfael avait glané un mince début de preuve qui l’aiderait dans ses recherches : un otage ou deux déjà dans le château, Philippe présent entre les mêmes murs. Partout où il allait, il transportait avec lui ses trésors venimeux – haine, amertume – et accumulait ses vengeances.
Cadfael était près de pousser son rouan sur la route lorsqu’il s’avisa brusquement d’un renseignement essentiel qu’il lui fallait obtenir. Il sortit de la poche de son froc la feuille de parchemin roulée et l’étendit sur sa cuisse pour montrer au bûcheron les dessins du sceau à la salamandre.
— Auriez-vous déjà vu ce symbole sur un étendard, sur des harnais ou sur un sceau ? demanda-t-il. Je suis à la recherche de son propriétaire.
L’homme examina attentivement les images et secoua la tête.
— Je ne connais rien aux emblèmes et aux écus des nobles, excepté ceux des seigneurs du coin. Non, ça ne me dit vraiment rien. Mais si vous allez à Deerhurst, un des frères du monastère étudie ces choses-là et se fait fort de connaître les blasons de tous les comtes et les barons du pays. Il pourra sûrement vous donner le nom de celui-là.
A l’orée des bois ombreux, il se retrouva dans la pleine lumière des vastes prairies gorgées d’eau qui bordent la Severn ; il avait laissé derrière lui la rivière à Shrewsbury et la retrouvait élargie, roulant des flots sombres et lourds. De là, luisant à travers les arbres non loin de l’eau, il aperçut la pierre doucement argentée du clocher, un solide ouvrage saxon, raide et puissant comme un donjon. Au fur et à mesure qu’il en approchait, la ligne allongée du toit de la nef se dégageait, puis une abside à l’extrémité est, dont la base était semi-circulaire et la partie supérieure décorée de listeaux. Le Confesseur avait restauré et embelli cette très vieille maison de Dieu, fondée depuis des siècles, et l’avait accordée à Saint-Denis. Les sympathies du Confesseur allaient en effet plus volontiers aux Normands qu’aux Anglais.
A nouveau Cadfael éprouva quelque réticence lorsqu’il perçut l’ambiance bénédictine, si longtemps familière à son âme, et le sentiment qu’il était indigne d’y entrer et n’en avait plus le droit. Mais sa conscience devait tolérer sa propre duperie s’il voulait rechercher librement les informations dont il avait besoin. Quand le travail serait fini, il ferait amende honorable. S’il y survivait.
Le tourier qui l’autorisa à pénétrer dans la cour avait le cœur aimable et réjoui, une maturité florissante et un vif orgueil de son monastère dont il était heureux de montrer les beautés. Des travaux étaient en cours dans l’église ; au sud du chœur, une loge de maçons s’adossait au chevet de l’abside et des pierres de taille étaient empilées, en attente. Deux maçons et leurs manœuvres étaient justement en train de recouvrir l’établi et de ranger leurs outils car la lumière baissait. D’un geste attendri, le tourier désigna les fondations des murs en précisant les ajouts qu’il faudrait apporter au gros œuvre.
— Ici, nous allons construire une autre chapelle sud-est et son pendant qui fera contrepoint du côté nord. Notre maître maçon, un gars du pays, est fier de travailler pour l’église. C’est un homme bon. Il emploie quelques malchanceux que d’autres patrons ne trouveraient pas rentables. Vous voyez, là-bas, le manœuvre qui boite. Il y a peu, c’était encore un homme d’armes mais, depuis qu’il a été blessé et qu’il boite, il est inutile à son seigneur. Maître Bernard l’a engagé et ne le regrette pas : l’homme travaille dur et bien.
En dépit de son infirmité, le manœuvre qui s’avançait en pesant lourdement sur sa jambe gauche, sans doute à la suite d’une fracture mal réduite, était un beau et robuste gaillard, agile, doté de longs bras et de grandes mains habiles. On lui donnait la trentaine. Il s’effaça poliment pour les laisser passer et finit de recouvrir le bois entassé au pied du mur avant de rejoindre le maître-maçon qui se dirigeait vers le portail.
Jusqu’alors, les gelées brèves et superficielles n’avaient pas interrompu la construction des murs que l’on protégerait au moyen de tourbe, de terre de bruyère et de paille dès les premiers assauts sérieux de l’hiver.
— Au printemps, le travail ne leur manquera pas, dit le tourier. Venez voir.
Il n’y avait pas trace de style normand dans l’église du prieuré de Deerhurst ; tout y était saxon et les murs d’origine de la nef dataient de plusieurs siècles. Après avoir fait admirer toutes les beautés et les curiosités de l’édifice au visiteur, le tourier conduisit Cadfael chez le frère hospitalier qui lui fournirait un lit et l’accueillerait dans la communauté où il dînerait avec les frères.
Avant complies, Cadfael demanda s’il pouvait rencontrer le frère érudit, versé dans la science des blasons et des livrées des grandes familles d’Angleterre. Introduit auprès de frère Eadwin, il lui montra les dessins exécutés à Coventry. Le frère les examina et hocha la tête :
— Non, je ne l’ai jamais vu. Il y a dans le baronnage quelques familles qui utilisent plusieurs variations personnelles distinctives de leurs branches et de leurs membres. Celui-ci ne relève certainement pas d’une famille éminente. Je ne l’avais encore jamais vu.
Ni le prieur, apparemment, ni aucun des membres de la fraternité. Tous examinèrent les dessins sans pouvoir les rattacher à un patronyme ou à un lieu.
— S’il est de la région, reprit frère Eadwin désireux de rendre service, vous avez plus de chances de trouver la réponse au village que chez nous. A côté des familles de haut lignage, il en est de moins glorieuses mais très honorables dont les manoirs parsèment le comté. Dites-moi, frère, comment ce document est-il venu entre vos mains ?
— Le sceau qu’il reproduit se trouvait dans les bagages d’un défunt mais ce n’était pas le sien, dit Cadfael. Pour l’instant, l’original est dans les mains de l’évêque de Coventry, en attendant que nous découvrions quel était son propriétaire et que nous le lui restituions. Peu importe, conclut-il en roulant le parchemin et rattachant la cordelette, monseigneur l’évêque poursuivra les recherches.
Il se rendit à complies avec les frères, plus affecté par le chagrin et les remords liés à son exil volontaire du monde monastique que par la responsabilité qu’il avait délibérément assumée dans le siècle. L’office le réconforta et le silence qui suivit fut très bienvenu. Il bannit toute préoccupation jusqu’au lendemain et cette tranquillité d’esprit l’accompagna jusqu’au seuil du sommeil.
Toutefois, le matin suivant, après la messe, quand les maçons eurent découvert leurs matériaux pour profiter d’un jour supplémentaire de travail, il se souvint que le tourier lui avait parlé de maître Bernard comme d’un homme du cru, et il se dit qu’il valait la peine de dérouler ses dessins sur le tas de pierre pour demander au maçon qu’il les examine et lui donne son avis. Appelés à travailler dans les manoirs, les granges et les fermes aussi bien que dans les églises, les maçons utilisent des marques et des signes de leur corporation, si bien qu’ils peuvent être attentifs et respectueux de ces symboles lorsqu’ils les rencontrent ailleurs.
Après un coup d’œil rapide, le maître maçon déclara sans hésiter :
— Non, je ne le connais pas.
Puis il l’examina plus longuement, avec un intérêt détaché, et secoua définitivement la tête :
— Non, celui-ci, je ne l’ai jamais vu.
Deux manœuvres qui portaient une civière de matériaux s’étaient arrêtés pour jeter un regard curieux sur le parchemin auquel s’intéressait leur maître. Le boiteux, reposant sur sa bonne jambe, quitta des yeux le parchemin pour scruter longuement le visage de Cadfael ; il sourit en haussant les épaules lorsque Cadfael lui rendit franchement son regard, puis s’éloigna.
— Nulle part dans la région, soupira Cadfael, résigné.
— En tout cas, pas dans les demeures que je connais, et j’ai travaillé pour la plupart des manoirs d’alentour. Est-ce important ? questionna le maçon qui secoua de nouveau la tête tandis que Cadfael roulait son parchemin et le glissait à l’abri de son froc.
— C’est bien possible. On le saura un jour.
Apparemment, il avait fait tout ce qu’il avait à faire ici. Quelle serait sa prochaine démarche ? Il n’y avait pas encore réfléchi. D’après les indices, Philippe devait se trouver à La Musarderie où, selon toute probabilité, ses hommes avaient emprisonné Yves et où, d’après le bûcheron, il séquestrait déjà un otage, si ce n’est plus. Un autre argument, encore plus convaincant, étayait la conviction de Cadfael : cet homme aux passions puissantes devait être là où sa haine l’enracinait. Il ne faisait aucun doute que Philippe croyait Yves coupable. Donc, si l’on pouvait le persuader qu’il faisait injure au garçon, ses desseins pourraient et devraient se modifier. C’était un homme intelligent, accessible à la raison.
Habité par son problème, Cadfael se rendit à l’église à l’heure de tierce et récita l’office dans l’intimité d’un coin discret. Il venait de rouvrir les yeux et s’apprêtait à repartir lorsqu’il sentit une main se poser légèrement sur sa manche.
— Frère…
Malgré sa gaucherie, le boiteux savait se déplacer silencieusement sur les dalles dans ses chaussures de feutre usées. Sous une tignasse de cheveux bruns, son visage tourmenté était sombre et tendu.
— Frère, dit-il de la voix basse et contrainte que l’on réserve aux confidences, vous recherchez l’homme qui utilise pour régler ses affaires un sceau dont j’ai vu le dessin entre vos mains.
— C’est exact, confirma Cadfael d’un ton lugubre, je le cherche mais il semble que nul ne puisse m’aider. Votre maître m’a dit qu’il n’appartient pas aux gens auxquels il a eu affaire. Il ne l’a pas reconnu.
— En effet, dit l’homme simplement. Mais moi, je le connais.